Chai Masala – Entretien avec Beena Paradin Migotto


26 janvier 2023 


Dans cette interview avec Mathilde Roellinger, Beena Paradin Migotto raconte l’histoire de cette boisson et les rituels associés. 


Mathilde : Quel est ton premier souvenir avec le chai ?

Beena : Mon premier souvenir avec le chai, c’est quand j’avais 5 ans. Lorsque je retournais en Inde avec mes parents, je me souviens de cette odeur de chai qu’il y avait quand on s’arrêtait sur la route. Je faisais des pieds et des mains pour avoir le droit d’en boire moi aussi. Mes parents considéraient que le thé n’était pas une boisson adaptée à mon âge. J’ai toujours eu une espèce d’attraction pour cette décoction lactée, épicée, parfumée et qui à l’époque était encore plus sucrée qu’aujourd’hui.


M : Que symbolise le chai en Inde aujourd’hui ? 

B : Pour moi, c’est à la fois le réconfort quand tu voyages : je me réjouis toujours de m’arrêter pour prendre mon chai au bord de la route. C’est aussi des moments de convivialité ; aussi bien des petits déjeuners en famille où la première chose que l’on peut faire c’est partager un chai. Un autre moment que je trouve convivial et vraiment important dans la vie de famille indienne, c’est l’heure du thé, à l’anglaise, où tu vas te retrouver vers 5 heures pour boire un chai et grignoter quelques samossas ou quelques gâteaux sucrés selon les jours. C’est vraiment le moment hyper sympa où tout s’arrête juste pour aller prendre ton chai. 

M : Est-ce également une boisson d’hospitalité ? 

B : Bien sûr, c’est la première chose que tu proposes quand tu reçois quelqu’un. C’est impensable de recevoir quelqu’un chez toi, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, sans lui offrir un chai. De la même façon, c’est aussi un rituel dans les bureaux, de la petite PME aux plus grosses firmes indiennes : ils ont un Chaiwala à demeure, qui est chargé de faire le chai. 



M : Quelle est l’histoire du chai ? Est-ce une boisson qui existe depuis la nuit des temps ou bien est- ce récent ? 

B : C’est assez récent. Ce qui est assez dingue dans le chai, c’est que le thé qui est présent dans le chai n’était pas un ingrédient indigène indien ; il a été apporté par les anglais à la fin du au XVIIIème siècle. Les anglais avaient commencé le commerce de thé avec les chinois et comme ils avaient envie d’étendre leur empire et leur capacité de commerce, ils ont introduit le thé en Inde pour pourvoir au départ aux besoins du marché anglais. Les anglais ont tout fait au fur et à mesure pour convaincre les indiens de boire du thé et créer un marché domestique. Comme le thé n’était pas au goût des indiens, ces derniers auraient peut-être inventé cette boisson lactée, sucrée et épicée. 


M : Il y avait donc déjà des décoctions d’épices en Inde, avant l’arrivée du thé.  

B : Oui, il y a beaucoup de décoctions d’épices ayurvédiques ou pas. Quand nous étions ensemble en Inde, on trouvait très souvent au déjeuner de l’eau de cumin, de l’eau de fenugrec. Cette notion d’avoir des épices infusées que tu bois comme une boisson en accompagnement d’un repas ou pour se désaltérer au cours de la journée, on en trouve des milliers de formes. 

C’est probablement cette rencontre entre le thé des anglais et les décoctions d’épices des indiens qui a créé le chai. 



M : Est-ce que tu penses que ce chai a évolué au fil du temps ? 

B : J’ai l’impression qu’on le boit moins sucré qu’avant. J’ai vraiment le souvenir quand j’étais plus petite que les gens mettaient plusieurs cuillères de sucre dans un tout petit verre de chai. 

Après, ce n’est pas tant une évolution au cours des siècles qu’une évolution géographique : tu ne bois pas le même chai selon la région dans laquelle tu es ; en fonction des conditions météo aussi. Dans le sud de l’Inde, l’épice dominante sera la cardamome ; avec cette note rafraichissante d’eucalyptus. Alors que quand tu bois un chai dans le nord de l’Inde et en particulier dans les endroits où il fait très froid pendant l’hiver, tu vas boire quelque chose de très épicé, avec beaucoup de gingembre. Il y a un côté presque pharmaceutique qui est censé te réchauffer et t’aider à ne pas tomber malade face au froid.  

Les recettes de chai varient beaucoup dans le temps et aussi dans le moment de l’année, c’est-à-dire que si tu fais un chai « d’hiver », où il fait un peu plus froid, tu vas plutôt forcer sur le gingembre ; alors qu’un chai d’été, tu forceras plutôt sur la cardamome. 




M : Comment aimes-tu savourer le chai dans ton quotidien ? 

B : J’aime bien faire le chai dans les règles de l’art, en faisant bouillir l’eau, les épices ; puis en rajoutant du lait. Ce n’est pas quelque chose que j’ai l’occasion de faire dans le quotidien mais c’est vraiment mon rituel du dimanche. J’associe le chai et les viennoiseries. 

Quand j’étais petite, mon père faisait toujours un chai le dimanche, donc j’ai gardé cette habitude. Il nous faisait un chai aux épices mais sa spécialité, c’était le chai à la vanille, c’est hyper bon. 


M : Quels sont les rituels qui accompagnent un chai en Inde ? 

B : Tu retrouves l’idée du tea time, comme on peut le trouver en Angleterre, c’est-à-dire que le chai s’accompagne aussi bien de salé que de sucré. Au Kerala par exemple, les 2 spécialités salé et sucré que tu trouveras dans les magasins de chai, ça sera d’un côté les samossas salés ou les cutlets, qui sont des petites galettes de pommes de terre salées épicées. La grande spécialité en sucré, c’est les beignets de banane. 

Le chai, c’est vraiment le goûter, c’est-à-dire que dans la tradition indienne, tu ne manges pas de dessert ; tu fais qu’un plat principal à midi. En revanche, tu vas t’arrêter à 5 heures pour avoir soit une touche sucrée soit une vraie collation avec un petit truc sucré, un petit truc salé. 


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